Je vais commencer ce texte par un disclaimer pour mettre deux-trois petites choses au clair dès le début. Primo, ceci n’est pas une thèse “scientifique”, mais plutôt un texte d’opinion qui s’appuie sur des faits historiques. Tu peux donc t’attendre à avoir mon avis sur quelques sujets controversés (ne fais pas trop le saut!).
Deuxio, dans ce texte je vais souvent employer le terme “les Québécois”, pour désigner les “Québécois d’origine canadienne-française” puisque ce texte est une réflexion sur une problématique qui était, à l’origine, propre aux “Canadiens français” des deux-cent-quelques dernières années. Ça ne veut en aucun cas dire que je considère que les Québécois de diverses origines ne sont pas de “vrais Québécois”, simplement que l’identité québécoise a beaucoup évolué et que j’utiliserai ce terme plutôt dans son sens historique que moderne.
Ceci étant dit…
Il y a un dicton qui dit que les Québécois sont nés pour un petit pain. D’où provient cette croyance, a-t-elle déjà été vraie et, surtout, s’applique-t-elle de nos jours?
“Être né pour un petit pain”
Fig., fam. pour traduire une attitude de résignation, l'acceptation de sa condition modeste, la fatalité d'un destin sans horizon.
Au Québec, à notre époque, je pense qu’on peut s’entendre pour dire que l’expression “les Québécois sont nés pour un petit pain” est arriérée. On a assez de vedettes qui sont passées à l’international, d’entreprises florissantes et de scientifiques novateurs pour savoir que notre statut de Québécois n’empêche ni le succès ni la richesse.
Le problème, c’est que même si notre côté rationnel réfute l’idée que les Québécois sont nés pour un petit pain, notre subconscient n’est pas nécessairement de cet avis.
On évolue tous dans une société qui nous transmet un système de croyances, que ce soit au niveau de la spiritualité, de la sexualité, des rôles et responsabilités des citoyens, du bien et du mal ou du possible et de l’impossible. Et tout comme un individu, on pourrait dire que notre mentalité collective a un “conscient”, connu et accepté, et un “subconscient” officieux et tabou.
Ce qui m’amène à aborder l’un des maudits gros problèmes qu’on a au Québec et qui nous empêche trop souvent d’atteindre notre plein potentiel: on n’est pas nés pour un petit pain, mais cette idée subsiste quand même dans notre “subconscient” collectif et nous est transmise par notre propre société.
Il s’agit d’une croyance limitante à grande échelle, transmise de génération en génération, sans même qu’on s’en rende compte.
La vérité, c’est que le Québec est aussi peuplé de bons vivants incroyablement créatifs, débrouillards, patenteux, travaillants, respectueux, profondément égalitaires et particulièrement fiers. Un vrai peuple de “winners” quoi! (à quelques exceptions près 🥴)
Mais parallèlement, on a un problème avec l’argent et le succès et il est grand temps qu’on en parle.
Il s’agit d’une croyance limitante à grande échelle, transmise de génération en génération, sans même qu’on s’en rende compte.
Tu te dis sans doute “Ben voyons, je n’ai pas de problème avec l’argent et le succès, au contraire, je ne demande pas mieux!”. N’est-ce pas ce qu’on se dit tous? Mais il est là le noeud du problème, c’est notre “conscient” qui parle.
Voir aussi: 5 étapes pour se libérer de ses croyances limitantes
En pratique, on est souvent les premiers à se mettre des bâtons dans les roues. Au moment d’accomplir quelque chose qui a réellement le potentiel de nous enligner vers le succès, on procrastine, on se laisse distraire, on “passe tout droit”, on se convainc qu’on n’est pas prêt, qu’on n’a pas ce qu’il faut, qu’il nous manque quelque chose, qu’on est trop occupés, que ce n’est pas le bon moment…
Mais qu’est-ce que notre “subconscient” peut bien nous dire à notre insu pour que, dans les faits, on soit toujours “à cheval entre deux tracks”, indécis, ambivalents, intimidés et hésitants face à ce qu’on veut obtenir et accomplir?
Tu l’auras sans doute compris, cet article sera assez différent des autres qui se retrouvent sur le blogue. Il ne te permettra pas d’être plus efficace avec un ordinateur ou d’apprendre à mieux gérer ton temps. Ce que je te propose, c’est plutôt de zoomer sur l’ADN identitaire du Québécois pour trouver d’où nous provient cet “inconscient collectif” qui influence notre perception de la richesse et du succès.
Dans les paragraphes qui suivent, je te propose donc “d’arracher le plaster”, de regarder le “bobo” comme il faut, d’analyser ce qui l’a causé et de le laisser respirer un peu pour qu’il puisse enfin commencer à cicatriser.
Mais d’où vient ce dicton fataliste? Et pourquoi est-ce qu'on en parle encore de nos jours?
Pour répondre à cette question, un petit flashback historique est nécessaire. Je vais tenter de simplifier ça au maximum: à partir de 1534, le territoire du Québec actuel fait partie de la colonie française nommée la Nouvelle France (qui regroupera le Canada, l’Acadie et la Louisiane).
Un peu plus de 200 ans plus tard a lieu la guerre de la Conquête, que nous perdons (ahh cette fameuse bataille des Plaines!) après la prise de Montréal en 1760, ce qui fait en sorte qu’on devient soudainement des sujets de l’Empire britannique à la signature du traité trois ans plus tard. À ce moment, la majorité des habitants du territoire sont catholiques, francophones, ne parlent pas un mot d’anglais et vivent principalement de l’agriculture de subsistance répartis sur les terres des différentes seigneuries.
Inutile de préciser que ça a créé un clash quand “l’envahisseur” anglo-protestant a pris les rênes du gouvernement et de l’économie.
Malgré tout, les premières années de la transition se sont relativement bien passées. Il faut dire que le nouveau gouvernement “feelait doux” à l’égard des Canadiens français et permit, grosso modo, qu’ils continuent à vivre comme ils l’avaient toujours fait, en tant que francophones catholiques. À ce moment, la métropole britannique jouait de prudence; c’était une période marquée par les révoltes et seulement trois ans plus tard (1773) ils avaient les bras pleins avec les Treize Colonies (en gros, la côte est des États-Unis qui était à l’époque composée de colonies britanniques) qui se révoltaient contre une nouvelle taxe (révolte qui a mené à l’indépendance et la naissance des États-Unis quelques années plus tard).
Tout ça va bien changer, particulièrement quand il sera question de la langue française.
Fast-Forward une centaine d’années plus tard, en plein coeur de la révolution industrielle. Les anglophones ont le “gros boutte du bâton” dans le milieu des affaires et les décennies qui suivent sont marquées par l’implantation d’industries prospères qui attirent un grand nombre de paysans en quête d’une meilleure situation financière (l’industrialisation met beaucoup de pression sur le milieu agricole).
Parallèlement, la majorité des Canadiens français demeurent isolés dans les villages, conservent leur mentalité paysanne et tentent de préserver leur religion leur culture et leur langue qu’ils défendent farouchement depuis des dizaines d’années. Pour subsister, ils développent donc un très fort esprit de communauté, de partage et d’entraide.
En gros, suite à la conquête, les opportunités d’affaires se sont amenuisées rapidement pour les Canadiens français. Les “Anglais” avaient accès plus facilement à du capital et bénéficiaient d’avantages commerciaux grâce à la mère patrie, et les Canadiens français se retrouvaient plus souvent qu’autrement à travailler pour un “boss” anglophone ou tentaient tant bien que mal de joindre les deux bouts en cultivant leurs terres et en variant leurs activités économiques (en faisant de l'artisanat par exemple).
C’est de ce contexte, de cette mentalité de résignation, de ce sentiment d’être condamné à vivre sa vie en situation de désavantage économique que l’expression “être né pour un petit pain” est apparue.
L’une des premières mentions de cette expression se trouve dans l'édition du 5 octobre 1912 de La Presse, dans un texte humoristique: la causette hebdomadaire du Père Ladébauche à son cousin, un Canayen des States, Monsieur Goldenpolished Catbedcrazy (Polydore Chalifoux, en français):
“Il y a un vieux proverbe latin qu’on nous enseignait quand j’étais jeune et qui inocule ceci: “Quand on est né pour un p’tit pain, on n’est pas né pour un gros.” Je crois ma foi de gueux, que la ville de Montréal est née pour un simple biscuit à la mélasse, pas plus. (...)
Mais vous autres, dans les États qui êtes nés pour un gros pain, vous pouvez vous offrir des tunnels, des fils souterrains, des bibliothèques et une foule d’améliorations modernes. Nous autres, à Montréal, tout ce qu’on a pu se payer pour améliorer notre sort, c’est une Commission Royale pour rire, avec un Bureau de Contrôle pas pour rire.”
(La causette hebdomadaire du Père Ladébauche - La Presse, 5 octobre 1912. Source: BAnQ)
Au fil des décennies qui suivent, l’expression est souvent reprise pour décrire la condition des Canadien français, qu’on croit destinés à une vie modeste.
Il faut dire aussi que le Québec qu’on connaît aujourd’hui est très différent de celui de nos grands-parents et arrière grands-parents.
En 1901, (c’est pas si loin que ça, c’est il y a à peine un peu plus de cent ans) il ne comptait que 1,65 million d’habitants. Pour te donner une idée, en 2016 la Ville de Montréal en comptait 1,7 million.
À cette époque, environ deux Québécois sur trois habitait toujours à la campagne et vivait de l’agriculture de subsistance, de l’exploitation forestière, de la pêche, de l’artisanat ou de la petite industrie.
Bref, jusqu’à tout récemment, les Québécois étaient principalement des villageois, même à Montréal qu’on appelait “la ville aux cent clochers” et dont chaque paroisse constituait un petit village en soi.
Aujourd’hui, on est environ 8,5 millions d’individus au Québec et près de la moitié de la population (4,099 millions) habite dans la Région métropolitaine de Montréal.
Notre population a donc beaucoup augmenté et est plus urbaine que jamais. Mais qu’est-ce que ça signifie pour notre mentalité?
Une chose est sûre, l’esprit de village, le sentiment d’appartenance à une communauté et la fierté qui s’en dégage ont modelé la culture québécoise et est typique de ses habitants, d’hier comme d’aujourd’hui.
Même si les populations se sont beaucoup déplacées et que les modes de vie ont changé, les Québécois d’origine canadienne-française ont toujours l’âme de villageois. L’entraide et la solidarité font partie de leurs valeurs profondes et ils sont très attachés à leur milieu.
C’est cet “esprit de clocher” qui fait en sorte que nous sommes tous convaincus que la meilleure poutine du Québec se trouve dans notre quartier... 😏 (C'est définitivement celle du Auger!)
Toutefois, malgré cet esprit villageois qui persiste, les Québécois ne sont plus isolés dans leurs villages. Ils se déplacent davantage, sont plus éduqués et ont développé une ouverture sur le monde.
Notre culture et notre mentalité sont donc imprégnées des valeurs de solidarité propres aux communautés villageoises, sans nous limiter géographiquement et nous priver des opportunités qui dépassent les limites de notre patelin.
L’esprit villageois, couplé à la situation de minorité et d’impuissance des Canadiens français suite à la conquête, a donné naissance à un instinct de survie culturelle particulièrement tenace.
Pour conserver le droit de parler leur langue, de pratiquer leur religion et de cesser d’être considérés comme des citoyens de second ordre, il a fallu revendiquer, manifester et argumenter. Et pour parvenir à se faire entendre, ils ne pouvaient pas se permettre d’argumenter différents discours. Il fallait à tout prix éviter la division, s’entendre, atteindre un consensus et parler d’une seule voix.
L’héritage de cette mentalité se traduit dans le milieu des affaires par la mise sur pied d’un grand nombre d’entreprises de type coopératives (comme Desjardins) et de regroupements de marchands (IGA par exemple).
C’est un élément qui a énormément contribué à faire valoir nos droits et rejeter l’idée qu’on est “nés pour un petit pain”, mais ironiquement c’est souvent ce qui freine la croissance de nos entreprises en ce moment.
Cette obsession du consensus nous emprisonne dans la lenteur administrative, et même l’immobilisme, jusqu’à ce que tous les joueurs parviennent à un commun accord. Ça rend tout à fait impossible la prise de décision rapide et nous fait manquer le train de plusieurs opportunités.
Il y a un proverbe qui dit qu’on a les qualités de nos défauts. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’identité du Canadien français.
L’isolement dans les villages et le repli social a eu pour effet de stimuler l’imaginaire et la créativité des habitants qui ont créé et entretenu leur propre culture.
Dans un premier temps, pour pallier la faiblesse économique il fallait être débrouillard et créer les solutions aux problèmes du quotidien. C’est ce qui donna naissance au typique “patenteux”, celui qui arrive à créer à peu près n’importe quoi avec de la broche à poules, des roues de bicycles, des vieux bidons et du tape à canots.
Puis, pour se divertir et affirmer leur identité, ils transmettaient leur folklore sous forme de contes et légendes, de musique et de danse. Une gigue, un p’tit set carré, une soirée de musique et puis “changez de côté, on s’est trompés, c’est pas mêlant on s’trompe tout l’temps”!
Les raconteux, violoneux et patenteux étaient omniprésents dans les villages québécois d’antan. La créativité, pour un Québécois d’origine canadienne-française, ce n’est pas simplement une qualité, c’est littéralement un trait culturel.
De nos jours, cette prédisposition à être créatif et ingénieux fait toujours partie de notre mentalité. Mais, à l’origine une conséquence de l’isolement, elle est devenue la source d’une industrie culturelle et créative florissante. On n’a qu’à penser au Cirque du Soleil, par exemple, ou aux chanteurs, musiciens, acteurs et artistes en tous genres qui rayonnent sur la scène québécoise et internationale.
L’esprit de collaboration développé dans les villages et la volonté à atteindre un consensus font en sorte que les Québécois sont très forts pour échanger leurs idées, discuter et mettre leurs esprits en commun de façon très créative.
Nés pour un petit pain, vous avez dit?
Malgré le fait qu’on soit culturellement très créatifs et débrouillards, on n’est pas particulièrement doués pour vendre nos idées et nos produits. La vente et le marketing sont des domaines où nous sommes un peu boiteux.
Pourquoi?
Principalement parce qu’au Québec, on a une drôle de relation avec l’argent. On méprise les “gosses de riches” qui sont “nés avec une cuillère d’argent dans la bouche” et font leur “show-off”, tout en étant exaspérés par les “gens gratteux”, par les “séraphins” qui s’accrochent à leurs cennes.
On ramasse les coupons du publi-sac et on fait des “économies de bouts de chandelles” mais on ne peut pas s’empêcher de faire nos “voisins gonflables”. On s’enrage contre l’évasion fiscale, mais on saute sur l’occasion de travailler au noir pour sauver un peu d’impôt. On se dit ouverts et avant-gardistes, mais on se bat constamment pour maintenir le statu quo.
Bref, on est un vrai paradoxe sur pattes!
Tout cela cache un malaise de société assez flagrant vis-à-vis l’argent. C’est un sujet tabou dont on évite de parler pour ne pas faire de “chicane”.
On a hérité d’une perception très négative de ceux qui font beaucoup d’argent. Sans même s’en apercevoir, on juge souvent de la qualité et de la morale d’un individu selon son portefeuille. On catégorise souvent les personnes qui ont beaucoup d’argent, qui sont “riches”, dans l’un de ces deux clichés, soit:
Les affaires sont les affaires, et en affaires il n’y a pas d’amis. N’est-ce pas?
Les individus qui font beaucoup d’argent préfèrent donc souvent éviter ce sujet pour ne pas être lynchés sur la place publique. Après tout, c’est ce qui se produit immanquablement chaque fois qu’on dévoile dans les médias le salaire des hauts dirigeants, chefs d’entreprises ou des PDG de nos Sociétés d’État. Peu importe le contexte, l'opinion publique est la même: ce sont des profiteurs qui ne méritent pas leurs millions.
Cette relation particulière avec la richesse, c’est l’envers de la médaille de notre société.
L’inconvénient d’évoluer dans une société très égalitaire est qu’on n’aime pas que les autres se distinguent trop de nous. On rêve tous d’être riches, tout en commérant dans le dos de ceux qui le sont devenus. On méprise ceux qui s’élèvent au-dessus de nous, mais on justifie ce mépris en se disant que ce sont des “crosseurs” qui “pètent plus haut que le trou”.
Mais d’où nous vient donc cette relation amour/haine avec l’argent et le succès?
On ne peut pas parler de cette croyance que les Canadiens français sont “nés pour un petit pain” sans parler un brin de l’Église catholique qui était aux commandes jusqu’à la seconde moitié du 20e siècle.
Pendant ce temps, elle a donc littéralement dicté aux Québécois comment il fallait agir, ce qui était bien et ce qui était mal. Quand on considère ces extraits de la Bible, on comprend un peu mieux d’où vient ce malaise face à l’argent:
"Alors Jésus, levant les yeux sur ses disciples, dit: Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous! (Luc 6:20)
(...) vends tout ce que tu as, distribue- le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. (...) Qu'il est difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu! Car il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. (Luc 18:25)"
Clairement, la religion catholique a quelque chose contre l’argent et le succès (ironiquement)! 😅
Cette idée qu’il est nécessaire de ne pas accumuler de richesses et de vivre modestement pour “gagner son ciel” tombait à pic dans le contexte socioéconomique d’après conquête. C’était une façon efficace de faire d’une pierre deux coups: encourager la modestie, récolter une dîme généreuse et rassembler ses ouailles autour d’un discours qui renforce l’identité canadienne-française en les dissociant davantage des protestants anglophones (il y avait une dynamique particulière avec les catholiques anglophones, principalement les immigrants écossais et irlandais, mais on n’entrera pas dans les détails).
En cas de difficultés économiques, la solution mise de l’avant par le clergé pour subsister et parvenir à nourrir la famille n’était pas de faire plus d’argent, mais plutôt d’économiser, de vivre modestement et de s’entraider entre paroissiens. C’est d’ailleurs dans cet esprit d’économie et de coopération et en répondant aux besoins financiers particuliers des Canadiens ruraux que Desjardins a implanté les premières caisses populaires sur le territoire.
Bref, vouloir faire beaucoup d’argent et s’enrichir, ce n’est tout simplement pas catholique.
Le monde des affaires, ce n’est pas leur monde. Cette mentalité a très certainement contribué à limiter la réussite économique des Canadiens français et alimenté le mythe que les Québécois sont nés pour un petit pain.
Après tout, pour réussir en affaires, il faut d’abord en avoir l’ambition et savoir reconnaître sa valeur et son mérite.
Si on résume, on disait des Canadiens français qu’ils étaient nés pour un petit pain parce qu’ils ont été longtemps maintenus dans une situation de désavantage économique et étaient peu nombreux à occuper des postes influents.
Par contre, c’est un peu simpliste d’affirmer simplement que “c’est la faute aux anglais”.
En effet, les nouveaux arrivants britanniques ont eu droit à des avantages commerciaux et économiques, mais ça n’a pas empêché un bon nombre de Canadiens français de se tailler une place parmi eux, par exemple, dans le gouvernement civil du Bas-Canada (source).
Toutefois, le repli dans les villages de la majorité des Canadiens français fait en sorte qu’on croit qu’ils sont prédisposés à une mentalité économique différente, ce qui servira souvent d'argument pour légitimer des politiques économiques distinctes pour ces “deux peuples” du Canada.
Tout porte à croire qu’en réalité, le fait que les villageois se soient repliés sur eux-mêmes et n’apprenaient pas à parler anglais leur a permis de sauvegarder leur culture, mais les ont coupé du monde des affaires et de ses opportunités.
Je ne dis pas que c’est une bonne chose, et je ne dis pas que ça en est une mauvaise. Je crois que tout est relatif à l’angle avec lequel on considère l’histoire et la situation actuelle.
Les Canadiens français se sont retrouvés devant un choix: accepter qu’ils ont été vaincus et qu’ils ne sont plus une colonie française, apprendre l’anglais et l’enseigner à leurs enfants pour devenir des sujets britanniques en bonne et due forme ayant les mêmes droits et opportunités que les autres, ou défendre leur langue qui, malgré l’immigration britannique, était parlée par la majorité de la population et était un pilier de leur identité culturelle.
Pour la majorité des Canadiens, la question ne se posait même pas. Il s’agissait d’abord d’une question de fierté et de respect. Que la métropole britannique refuse de reconnaître le statut du français comme langue officielle était un affront au peuple.
Étant donné que la société québécoise était largement menée par le clergé catholique francophone (y compris le domaine de l’éducation) et que les valeurs de l’Église prônaient la modestie, le choix était d’autant plus simple à faire.
Apprendre l’anglais allait donc à contresens. Et puisque le peuple ne parlait pas cette langue, le gouvernement britannique n’avait d’autre choix que de s’adresser à ses nouveaux sujets britanniques dans la langue qu’ils comprennent (du moins dans les débuts).
Le problème, c’est que la langue du commerce et des affaires, c’était l’anglais, non seulement avec les Québécois anglophones, mais aussi avec notre voisin, les États-Unis, qui développait rapidement son économie.
Mais bon, comme on dit, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre et la poursuite du succès et de la richesse n’était tout simplement pas compatible avec nos valeurs catholiques.
Bref, c’est l’une des raisons pour lesquelles les Québécois se sont retrouvés dans une économie de subsistance fondée sur l’esprit d’entraide et de partage et qu’ils variaient leurs activités économiques pour tenter malgré tout d’améliorer leur sort.
C’est devenu anachronique d'affirmer aujourd'hui que les Québécois sont nés pour un petit pain.
Mais notre histoire, avec hauts et ses bas, a laissé une grosse trace de Sharpie très dure à effacer sur notre mentalité collective et notre perception de l’argent et du monde des affaires.
Cette perception négative, on l’a aussi vis-à-vis la langue anglaise.
On est conscients que le bilinguisme est un atout social et professionnel important, pourtant, il n’y a que 44,5% de la population québécoise qui était considérée comme étant bilingue (capable de soutenir une conversation en français et en anglais) en 2016.
“Ouais mais le reste du Canada sont juste bilingues à 9,8%! Pourquoi c’est nous autres qui devrait apprendre l’anglais pis pas le contraire?”
Parce que, si on sort du Québec, 91,2% des Canadiens parlent anglais à la maison et que nos voisins Américains ne sont pas moins de 237,8 millions d’habitants à parler exclusivement anglais, soit 80% du pays (est-ce qu’il faut que je répète qu’on est 8,2 millions de population totale au Québec?).
Outre nos voisins géographiques, il faut aussi préciser que, selon les différentes études sur le sujet, le contenu anglophone sur internet représente de 32% à 51,9% de la totalité du web, contre 4,1% à 6,5% pour le contenu francophone.
Alors, qu’on le veuille ou non, le fait est qu'on est entourés par la langue anglaise, et ne pas l’apprendre c’est se priver d’une énorme, énooooorme part du marché continental et d’un grand nombre de ressources disponibles (par exemple, les logiciels ou sites web qui ne sont pas traduits en français).
Si je te disais que 55,5% de la population du Québec était analphabète, tu trouverais ça alarmant, n’est-ce pas? Hé bien c’est dans cette proportion que nous sommes analphabètes de la langue des affaires. Je ne veux pas dire qu’on n’a aucune chance de réussir en affaires si on ne parle pas anglais, mais je pense que c’est se tirer dans le pied et s’arranger pour boiter “pendant un maudit boutte.”
Et non, ce n’est pas parce qu’on apprend à parler anglais qu’on oublie comment parler français. Plus que jamais, on a accès aux ressources pour apprendre à bien parler notre langue maternelle et en maîtriser une autre. Ou deux. Ou pourquoi pas cinq, c’est la beauté de notre cerveau, il n’a pas “quota” linguistique!
Bref, il ne faut pas tenir notre langue maternelle et culturelle, le français, pour acquis, mais il faut cesser de vilipender l’anglais. Il est temps qu’on arrête de se servir de notre rancune historique pour blâmer l’anglophone (ou l’allophone) du déclin de la langue française, alors qu’on n’a même pas assez de motivation pour se donner la peine d’apprendre notre propre langue “comme du monde”.
Le problème, c’est que même si on éliminait l’anglais de notre vue, ça ne nous donnerait pas plus le goût de mieux parler français. Ce n’est pas en renommant Best Buy “Meilleur Achat” qu’on va soudainement avoir envie de maîtriser notre grammaire.
À mon avis, restreindre l’anglais ça ne développe pas le français et ça ne sert en rien la cause de la francisation au Québec. On n’est pas nés pour un petit pain, mais si on veut aller se chercher un gros pain il faut qu’on puisse s’adresser au baker qui le pétrit, que ça nous plaise ou non.
D’abord, il faut dire qu’il y a proportionnellement très peu de gens “riches” au Québec. En 2017, seulement 7,05% de la population aurait déclaré gagner plus de 100 000 $ dans l’année. C’est très peu, et ça fait en sorte qu’on voit les gens qui ont de l’argent un peu comme des exceptions, des anomalies auxquelles on a du mal à s’identifier.
On a également une sorte de mépris pour les fortunes familiales. Contrairement aux États-Unis où les empires familiaux sont nombreux et en sont souvent aux cinquièmes ou sixièmes générations, ici quand on entend les noms de Desmarais, Molson ou Péladeau, on grince des dents parce qu’on a l’impression qu’ils n’ont pas mérité leur argent. C’est là qu’on constate à quel point notre culture entrepreneuriale est jeune et n’a pas encore fait son chemin dans notre mentalité collective.
On est particulièrement doués pour rêver éveillés. On est créatifs, on aime se fier à notre instinct et on apprécie la poésie des termes comme “liberté” et “destin”.
C’est ce qui nous attire le plus de l’entrepreneuriat, ça fait appel à notre côté rêveur. Mais quand vient le moment de mettre notre vision à exécution, on perd vite notre entrain, car on se retrouve à l'extérieur de notre zone de confort.
- Louis-Adolphe Paquet, 100 ans après la Conquête et quelques années après la défaite des Patriotes : « Notre mission est moins de manier des capitaux que de remuer des idées ; elle consiste moins à allumer le feu des usines qu’à entretenir et faire rayonner au loin le foyer lumineux de la religion et de la pensée… » Voilà une mission – et une consolation – porteuse d’espérance d’une vie céleste éternelle".
Notre penchant pour la pensée et la réflexion fait donc aussi partie de notre culture. C’est pourquoi nous sommes aussi créatifs. Le problème, c’est qu' “une invention ne deviendra célèbre que si elle est appuyée par une bonne stratégie marketing. Avoir une idée est une chose; la rentabiliser est une autre.” (Source p.187.)
Les Québécois ne sont définitivement pas nés pour un petit pain, mais ils ont des croûtes à manger.
Il y a un travail d’introspection à faire pour apprendre à reconnaître nos faiblesses et trouver des façons de les surpasser.
La recherche du consensus à tout prix, par exemple, nous est très nuisible en affaires. Au cours d’une entrevue réalisée lorsqu’elle était à la tête de l’organisme de prospection économique Montreal International, Dominique Anglade avouait que “Malheureusement, nous avons créé des systèmes lourds et complexes. Nous avons mis trop d’importance sur les moyens et moins sur les résultats. A-t-on réellement besoin de consulter tout le monde avant de prendre une décision?” (Source, p.76).
Sur un autre ordre d’idée, on a aussi tendance à banaliser l’ambition et à ne pas prendre ceux qui en ont au sérieux.
On entend souvent des trucs du genre “Comme ça mon p’tit gars, tu veux devenir entrepreneur? C’est cute. Mais si tu veux faire vivre ta famille, ça va te prendre une vraie job. Pourquoi tu ne vas pas porter ton nom dans une shop?”
Bref, sortir des sentiers battus pour prendre le chemin de l’entrepreneuriat a longtemps été immédiatement découragé parce qu’on avait l’impression que c’était une voie sans avenir. L’ambition, c’est bien, tant que ça te mène à l’université pour avoir une job “stable”.
La bonne nouvelle, dans tout ça, c’est que la société québécoise a énormément évolué au cours des dernières décennies. De plus en plus, notre société accepte l’idée que l'argent, ce n'est pas “le démon”, que c'est un outil, ni plus ni moins. Ce qui fait la différence, c’est la façon dont on dépense cet argent. L’argent ne fait pas le bonheur, mais ça peut nous permettre de:
L’histoire a fini par jouer en notre faveur en ce qui concerne notre identité et les forces qui s’en dégagent. À partir du moment où on a su s’ouvrir aux cultures qui nous entouraient, on a pu apprendre d’elles. Tranquillement mais sûrement, on a adopté et intégré à notre propre culture la productivité et l’efficacité à l’américaine et l’esprit d’équipe britannique qui, combinés à notre créativité et notre esprit de “villageois moderne”, nous ont permis de nous démarquer rapidement dans le monde des affaires.
Selon le rapport sur l’activité entrepreneuriale au Québec, nous sommes présentement à l’endroit dans tous les pays du G7 où l’entrepreneuriat est le plus valorisé. Un peu plus de 20% des Québécois aimeraient lancer une entreprise dans les trois années qui suivent, et ce chiffre est à la hausse depuis 2013.
Toutefois, il y a une différence entre l’intention et l’action.
Tel que mentionné précédemment, notre culture entrepreneuriale est encore jeune et nous n’avons pas tout à fait confiance en nos compétences et notre capacité à réussir en affaires.
Est-ce que les Québécois sont nés pour un petit pain?
La réponse est non, bien entendu. Je ne crois pas, de toute façon, que quiconque soit né pour un petit pain, peu importe le milieu ou l’endroit où il est né.
Mais l’identité québécoise a été malmenée au fil des ans. Notre capacité à entreprendre et notre sens des affaires ont été remis en question. Pour différentes raisons, les Canadiens français ont longtemps été considérés comme des citoyens de second ordre qui étaient destinés à une vie modeste.
La richesse, elle est là, elle est accessible et elle n’est pas réservée à ceux qui sont “nés dans la ouatte”. Peu importe qu’on soit nés dans une famille riche de Montréal ou élevés par une mère monoparentale à Shawinigan, qu’on soit allés au Collège Privé ou qu’on ait eu un parcours sans éclat dans le système public, les opportunités sont là pour tous.
Même si on sait que les Québécois ne sont pas nés pour un petit pain, on a tendance à évaluer nos chances de réussite selon le milieu dans lequel on est nés. C’est une mentalité qu’il faut impérativement changer.
Néanmoins, il serait vrai qu’au Québec, on a moins “l’envie” de réussir en affaires. Selon une étude présentée dans le livre “Le code Québec”, 74% des Québécois francophones préfèrent vivre le moment présent plutôt que préparer l’avenir, et 38% préfèrent faire de l’argent contre 62% avoir plus de temps.
Il semblerait qu’on soit un peuple reconnu pour sa “joie de vivre” et qui a fait le choix de consacrer son temps et son énergie à profiter de la vie (YOLO) au détriment de ses finances.
Et je n’ai absolument rien contre ça!
L’important est que notre mode de vie et nos ambitions nous conviennent et nous rendent heureux, après tout. Il faut seulement s’assurer que, si on préfère ne pas passer trop de temps à préparer notre avenir, ce ne soit pas à cause de la croyance limitante qu’on ne peut pas avoir un avenir prospère et que c’est perdu d’avance.
Finalement, il faut aussi reconnaître qu’on ne peut pas mettre tous les Québécois dans le même panier. Le Québec, c’est beaucoup plus que Montréal et Québec, la ville et la campagne, le français et l’anglais, les catholiques et les protestants.
La mentalité à Montréal est différente de celle de Québec, qui diffère des mentalités qu’on retrouve dans les régions. Le Multiculturalisme, la diversité, le bilinguisme sont autant de critères qui vont largement influencer les mentalités de nos communautés.
"Montréal, la multiculturelle, la plus britannique des villes québécoise, a toujours eu de la difficulté à comprendre Québec, la républicaine, la plus française des villes québécoises." - Le code Québec, p.156
Bref, le Québec est loin d’être homogène, alors dans cette optique il serait ridicule d’affirmer que “les Québécois sont nés pour un petit pain”!
Dans ce texte, on a parlé de la Conquête britannique, des enjeux de la langue française, de l’influence de l’Église catholique, de l’esprit de clocher et de l’isolement dans les villages. On a abordé différents points qui expliquent en partie pourquoi on s’est retrouvés dans une situation d’économie de subsistance et pourquoi nous avons été, pendant très longtemps, quasiment absents du monde des affaires.
Je ne prétends pas avoir fait le tour de la question, car retracer tous les éléments historiques qui ont formé la mentalité québécoise telle qu’on la connaît aujourd’hui demande de brosser un portrait beaucoup plus large. On n’a pas parlé de l’influence de la crise économique des années 30, ni des deux guerres mondiales, des différentes vagues d’immigrations, de la révolution tranquille, de la place des femmes en affaires...
Bref, nous avons simplement mis de l’avant quelques-unes des tendances sociales les plus susceptibles d’avoir alimenté notre “inconscient” collectif et le mythe que les Québécois sont nés pour un petit pain.
Quelle est votre opinion sur le sujet?
Que vous soyez d’accord ou pas avec ce qui est avancé dans ce texte, ça me ferait très plaisir d’en discuter! N’hésite pas à utiliser la section “commentaires” ci-dessous. J'ai également posé la question sur Quora, par curiosité, vous pouvez également aller y consulter les réponses des autres et y ajouter la vôtre!
Les mémoires québécoises, par Jacques Mathieu et Jacques Lacoursière.
Histoire du Mouvement Desjardins Tome 1 Desjardins et la naissance des caisses populaires 1900-1920. Tome 1, par Pierre Poulinre-Mouvement-Desjardin
Patronage et Pouvoir dans le Bas-Canada, 1794-1812: un essai d’économie historique, par Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot.
Rapport sur l'activité entrepreneuriale au Québec, par Étienne St-Jean et Marc Duhamel
Le Code Québec: Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, par Jean-Marc Léger, Jacques Nantel et Pierre Duhamel.