LES BUNKERS

L’art de convaincre : d’Aristote à Facebook

Vous est-il déjà arrivé d’avoir une très longue discussion avec quelqu’un avec qui vous aviez un désaccord profond, qu’il s’agisse de politique, de religion ou d’une simple dispute? Pour faire valoir votre point de vue, vous avez mis de l’avant ce que vous croyiez être l’élément par excellence pour démontrer la supériorité de votre raisonnement : un argument.

Plus votre argument est solide, plus vous vous attendez à ce que votre interlocuteur vous donne raison. Comble de la déception : même le meilleur argument, du moins selon votre point de vue, n’a aucun effet sur votre adversaire, qui reste planté mordicus sur sa position. Pourquoi?

Instinctivement, l’humain pense qu’il pourra convaincre ses semblables à partir d’arguments. C’est vrai SEULEMENT si la personne que nous voulons convaincre DÉSIRE être convaincue.

Voilà un grand principe de l’art de convaincre qu’il est essentiel de maîtriser dans le cadre du marketing, car le but du marketing est effectivement de convaincre le client potentiel d’adhérer à l’offre commerciale que nous lui proposons.

On comprendra donc rapidement que si je veux vendre une crème à main, il ne me suffira pas de dire “ma crème est la meilleure” pour convaincre un client. Encore faudra-t-il que le client soit à la recherche de la meilleure crème. En toute autre circonstance, tout ce que je pourrais dire à propos de ma crème sera absolument sans intérêt pour lui, voire même ennuyeux.

Ce n’est pas d’hier que l’humain cherche à convaincre ses semblables. Dans toutes les civilisations, l’homme intelligent, fier de ses réflexions, a cherché les moyens de les partager aux autres. Il a donc développé toutes sortes de moyens de communication afin de transmettre ses idées.

Mais de nos jours, à l’ère des communications, un paradoxe apparaît : plus la communication est facile, moins nous avons de temps pour communiquer. Par conséquent, plus il faut faire valoir notre point de vue de façon efficace avec le moins d’énergie possible.

À l’époque des grands intellectuels du Moyen-Âge, les idées se discutaient à l’aide de “joutes oratoires” ou par le biais des livres dans lesquels les arguments étaient décortiqués dans les moindres détails.

Aujourd’hui, si je veux vendre ma crème à main dans un spot publicitaire à la radio ou à la télévision, je n’aurai que 30 secondes pour la présenter.

Si je veux parler de ma crème sur Facebook, je n’aurai qu’un moment équivalent à un clignement de paupière pour attirer l’œil de mon futur client, c’est-à-dire le temps que ma publication défile sur un mur d’actualités.

Pire encore, contrairement à la joute oratoire, le marketeur n’a pas droit de réplique! Il doit convaincre du premier coup, sinon c’est sa stratégie marketing tout entière qui s’écroule.

Nous en déduirons aisément que prendre deux heures pour exposer un argument rationnel n’est finalement peut-être pas la meilleure façon de convaincre quelqu’un d’adhérer à une idée...

L’art de la démonstration

L’art de la démonstration, ou l’art de convaincre, est un sujet étudié depuis toujours.

Déjà 400 ans avant Jésus-Christ, le philosophe Aristote faisait une compilation de toute la science démonstrative connue à son époque et la résumait dans la thèse du syllogisme, avec la démonstration très connue :

Socrate est un homme.
Or tous les hommes sont mortels.
Donc Socrate est mortel.

Le but ici étant de forcer une réflexion intellectuelle : à partir de deux prémisses connues, nous pouvons en déduire une troisième.

En marketing, nous pourrions la traduire grossièrement ainsi :

J'ai la peau qui pique.
Ce type vend une crème pour soulager les démangeaisons.
J’ai besoin de cette crème.

1600 ans plus tard, vers 1250, le théologien Saint Thomas d’Aquin expose un élément psychologique essentiel. Il dit (je paraphrase) : “On ne convaincra jamais quelqu’un avec un argument auquel il refuse d’adhérer. Toute discussion ne peut évoluer à une étape supérieure que lorsque les deux partis s'accordent sur un même point.”

En d’autres mots, il ne suffit pas d’avoir un bon argument : encore faut-il le dire au bon moment, c’est-à-dire lorsque l’interlocuteur est ouvert à recevoir cette information.

Quel serait l'avantage d'être convaincu?

Si je dis à mon ami : "Veux-tu acheter ma crème?" et qu’il me répond : "Non merci", il est totalement inutile que je lui dise : "Pourtant elle est fabriquée avec de l’huile d’olive provenant des montagnes de la Corse et pressée à froid avec des infusions d’herbes de Provence."

Je pourrais plutôt lui demander : "Aimerais-tu avoir un soulagement de tes démangeaisons sur la peau?" Il me répondra : "Oh oui!" À ce moment, je pourrai lui dire : "J’ai une crème qui est réputée pour être efficace pour ça". Il sera alors beaucoup plus ouvert à l’idée de se laisser convaincre.

Avant donc d’exposer les qualités de ma crème, je m’assure d’introduire un point commun entre mon ami et moi, à savoir la recherche de soulagement contre la démangeaison.

Vers 1650, face à la difficulté occasionnelle de soulever le point commun, le physicien français Blaise Pascal a développé une démonstration basée sur la probabilité qu’un argument soit plus avantageux qu’un autre.

Il pose la question : est-il plus avantageux de croire ou de ne pas croire en Dieu?

  • Si je crois en Dieu, et que Dieu n’existe pas, je ne perds rien.
  • Si je crois en Dieu et que Dieu existe, je gagne le Paradis éternel.
  • Si je ne crois pas en Dieu, et que Dieu n’existe pas, je ne perds rien.
  • Si je ne crois pas en Dieu, mais que Dieu existe, je suis condamné à l’enfer éternel.

Nous comprenons que, comme il y a un risque de ne pas croire en Dieu, mais qu’il n’y a pas de désavantage significatif à y croire, il est donc plus avantageux de croire que de ne pas croire.

Si donc je veux vendre ma crème à main et que je publie sur Facebook le message suivant : “Soulage rapidement les démangeaisons. Satisfaction garantie ou argent remis.”, il apparaîtra plus avantageux de l’essayer que de s’en priver.

Pourquoi convaincre à tout prix?

Toutes les actions, à chaque instant de la vie humaine, ont fondamentalement un seul but : la recherche du bonheur.

Si un humain cherche à convaincre quelqu’un de quelque chose, il a donc un double but:

1- Chercher son propre bonheur
2- Proposer à l'autre d'améliorer le sien

Un “bon” marketing a donc pour but d’améliorer réciproquement notre bonheur. On parlera de manipulation, voir de fraude, lorsqu’une personne cherche maladroitement son bonheur au détriment de l’autre.

Oui, bien sûr, si je veux vendre ma crème à mon ami, c’est parce que je veux gagner de l’argent… mais pas seulement cela! Ça me rendra heureux de le voir soulagé de ses démangeaisons. Cette satisfaction me poussera à vendre une crème de la meilleure qualité possible et à tenter de convaincre encore plus de gens de l’essayer.

Mais je ne suis pas le seul à fabriquer des crèmes, et je ne suis pas le seul à vouloir en vendre! Je devrai donc me battre avec une armée de marketeurs qui veulent capter l’attention des clients potentiels.

Cette concurrence m’oblige donc à améliorer les techniques de marketing et de persuasion à un niveau supérieur.

Les 4 étapes de base de la persuasion

Aujourd’hui, à l’ère de Facebook et des médias sociaux, à l’ère du déluge de publicités et de l’instantanéité, la stratégie classique de la publicité efficace se résume en 4 étapes :

1- Accrocher le client
2- Entrer en relation avec lui
3- Lui présenter notre produit ou service
4- L'inviter à prendre une décision

Accrocher le client 

Puisque nous n’avons souvent que quelques secondes pour attirer l’attention du client, nous n’avons pas le temps de lui montrer notre produit, et encore moins le temps de lui faire une démonstration argumentative. De toute façon, le client n’est pas dans une phase d’ouverture à recevoir un argument, donc même si nous avions le temps, ce serait inutile.

Accrocher le client, c’est comme le croiser sur le trottoir, et lui dire : “Yo man, ça va?”

Le client peut décider de nous ignorer, mais va souvent prendre un instant pour essayer de comprendre ce que nous lui voulons.

Cet instant supplémentaire que nous avons gagné en captant son attention va nous permettre de passer à la prochaine étape.

En marketing numérique, nous utiliserons un lead magnet (aimant à prospect) et une landing page (page de capture) pour inciter le client à nous donner son adresse courriel. Nous pourrons également utiliser le Pixel Facebook qui nous permettra de recommuniquer avec lui plus tard.

En gros, une bonne page de capture va dire : “Salut, ça va ? Écoute, toi et moi, nous avons un intérêt en commun et j’aimerais t’en parler davantage! Ce n’est pas un bon moment d’en parler maintenant? Pas de problème, nous pouvons remettre ça à plus tard si tu veux. Bonne journée!”.

Entrer en relation avec le client

Une fois que le client nous a laissé un moyen de communiquer de nouveau avec lui, cela nous donne l’occasion de se présenter. C’est la politesse, non? Mais entrer en relation avec quelqu’un exige une qualité fondamentale : la confiance.

Pour obtenir la confiance du client, je vais devoir lui démontrer que j’en suis digne, à savoir notamment :

  • Que je suis un professionnel
  • Que j’ai une personnalité compatible avec la sienne
  • Que je partage un “point commun” avec lui suffisamment fort pour justifier la relation
  • Que nous avons tous les deux intérêt à pousser notre relation plus loin, pour notre bonheur réciproque

En marketing numérique, cette étape se traduit par “l’entonnoir de conversion” ou "tunnel de vente" (funnel). Il s’agit d’une série de communications, souvent par courriel, qui sert à se présenter et à obtenir la confiance du client.

Lorsque nous jugeons que cette confiance est acquise et que la relation est suffisamment forte, nous pouvons alors passer à la prochaine étape.

Présenter son produit ou service

Toute cette préparation n’avait qu’un seul but : stimuler chez le client un désir d’être convaincu par notre argument. C’est donc le moment de lui dire : “La crème que tu cherches pour soulager tes démangeaisons, moi je l’ai. La voici.”

Une des premières causes d’échec en marketing chez les débutants est de présenter son produit directement au client, sans avoir au préalable fait les autres étapes.

C’est comme si je circulais sur le trottoir et que j'apostrophais les gens en disant : “Hey mec, j’ai une crème à vendre. En veux-tu?”

Mon taux d’échec sera considérablement plus élevé que celui qui aura pris le temps d’accrocher les gens, d’établir une relation avec eux grâce à un point commun, pour finalement leur présenter son produit.

Inviter le client à prendre une décision

Tout marketeur souhaite que le client se dise : "Wow, quel produit extraordinaire, j’en veux un tout de suite! Où dois-je aller pour payer?" La réalité est moins bucolique. En fait, pour bouger, l’humain a généralement besoin de motivation. Il lui faut un élément déclencheur pour passer à l’action. En d’autres mots, ça lui prend un bon coup de pied au derrière...

En marketing, cela se traduit par “l’appel à l’action”, c’est-à-dire un ou plusieurs stimulants qui vise à l’aider à prendre la décision d’agir maintenant. Il s’agit souvent d’un rabais limité dans le temps.

Convaincre, c’est d’abord rendre service

“Les hommes croient volontiers ce qu’ils désirent”, nous disait Jules César. C’est donc à nous à faire en sorte que le client désire ce que nous avons à lui offrir.

Pour cela, nous respecterons son processus décisionnel, en l’aidant dans chacune des étapes :

  • Nous l’aiderons à remarquer notre publicité parmi 1000 autres.
  • Nous l’aiderons à être disposé à adhérer à notre argumentation.
  • Nous l’aiderons à tisser une relation de confiance avec nous.
  • Et finalement, nous l’aiderons à prendre la décision d’acquérir ce dont il a besoin.

Le tout, en se mettant à sa place et en agissant comme nous aimerions qu’un autre vendeur se comporte envers nous : en d'autres mots, en le respectant comme être humain.

Nous avons tous un budget mensuel à dépenser. Lorsque nous achetons quelque chose qui comble nos besoins, nous sommes heureux de dépenser. Ce n’est pas le prix qui détermine si nous sommes heureux de dépenser ou non, mais la valeur que nous attribuons au bien acheté.

Pourquoi acheter une voiture à 50 000$ quand il en existe à 10 000$? Pourquoi aller au restaurant et payer 20$ pour un plat alors que nous pouvons le cuisiner nous-mêmes pour 5$? Pourquoi payer 100$ pour le tableau d’un artiste alors que nous pouvons en imprimer un pour 0,50$? Tout simplement parce que nous sommes heureux de payer le prix de quelque chose que nous désirons et dont nous reconnaissons la valeur.

Et la valeur que nous attribuons à un produit ou service dépend énormément de la confiance que nous avons envers la personne qui nous le vend, la façon qu’il nous l’a présenté et le niveau d’urgence du besoin de se le procurer.

Si, donc, vous avez bien vendu votre produit ou service et que vous avez démontré à votre client sa valeur, ce dernier sera heureux de se le procurer et ça lui aura rendu service que vous l’ayez convaincu de prendre cette décision.

Conclusion

Bien sûr, Aristote et Saint Thomas d’Aquin n’ont pas exposé les techniques de l’argumentation dans le but de vendre une crème à main sur Facebook.

C’est le marketing qui a pigé dans l’art de convaincre pour atteindre des objectifs commerciaux.

Chaque stratégie marketing doit évidemment être adaptée selon le projet associé. Tous les produits et services ne se vendent pas de la même manière. Le niveau de relation nécessaire avec le client n'est pas le même si nous voulons vendre une paire de souliers ou une tisane pour maigrir. Un "lead magnet" est essentiel pour vendre un cours en ligne, mais plus ou moins efficace pour promouvoir un salon de coiffure.

On peut finalement se servir de ces techniques dans la vie de tous les jours pour toute sorte de raisons, qu’il s’agisse de faire valoir nos opinions politiques ou de régler une simple dispute. Il faut toujours se rappeler avant tout la règle d’or préalable à l’exposition d’un argument : s’assurer que notre interlocuteur soit dans un état de réceptivité.

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